vendredi 4 mars 2016

Les vases communicants (52) : Aunryz Tamel

Dans le cadre des vases communicants de mars 2016

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

J’ai le grand plaisir d’accueillir Aunryz Tamel dont les mots sont habituellement ici.


Après l’ensemble des dix fragments parus récemment, le texte du mois.
Excusez le retard mais des choses très bizarres se sont passées… avant que le texte n’arrive ici.

Où il est question d'usurpation, de je ne sais quoi de la part de je ne sais qui d'ailleurs ! 
En tout cas un agréable moment de partage de mots...

A vous d'en juger.

Les autres

Ce matin-là, Nathan s’était éveillé vide de lui-même. Pas un seul indice de sa présence dans ce qu’il avait retenu de rêve.
Et ce vide l’enchantait. Il lui fallait absolument conserver le plus longtemps possible cet état dans lequel, déserté de sa conscience, le monde entier lui appartenait. Et cette possession incluait l’existence de l’Autre, de tous les autres.
Afin que rien ne vienne perturber cet état, qu’aucune pensée personnelle ne rappelle son moi parti vagabonder, Nathan devait au plus vite sortir de chez lui, se mêler à ces Autres. Ceux des trottoirs, des cafés, des transports en commun …
A mi-chemin du cours Mirabeau, Nathan décida d’aller boire un café aux Deux Garçons. Les banquettes plaisaient à son dos fragile et la rumeur y était telle qu’elle rendait impossible le suivi d’une conversation en particulier. Ainsi le zapping était constant sans qu’il soit nécessaire de le provoquer.
Nathan s’installa dans le centre du café, au beau  milieu du concert des voix, tourné vers l’entrée de manière à voir arriver les nouveaux clients.
Ils s’étaient longuement embrassés devant la porte avant de la franchir. Se tenant la main, tous deux marchaient avec la décontraction dansante de ceux qui se sentent beau.
La vingtaine, blonds tous deux, elle aux yeux verts, lui d’un bleu piqueté d’orange. Après être passé derrière Nathan, ils allèrent s’asseoir sur la banquette appuyée à la sienne.
Nathan s’était assoupi. Quelques secondes pas plus. Dans le cas contraire l’un des serveurs serait venu le réveiller. Il se redressa mais encore las, appuya sa tête sur sa main et les masquant de ses doigts, il garda les yeux fermés.
A présent, Nathan ne pouvait plus voir le couple qui l’avait si fortement impressionné à leur entrée - et il ne devait pas être le seul - mais étrangement, alors même qu’ils chuchotaient comme s’ils craignaient qu’on les entende, Nathan percevait très distinctement leurs paroles. Le vacarme du café, s’était figé, papier peint, immobile, sur lequel les mots dits à voix basse se détachaient clairement, si distinctement qu’il lui semblait qu’ils s’imprimaient directement dans sa tête sans le concours de son ouïe.

-   - Moi aussi je t’aime Hélène, mais crois-moi, ce n’est pas si simple.
-  J’ai rarement aimé être emmenée en bateau…
-  Je t’ai promis de lui dire. C’est une question de quelques jours.
- … mais chaque fois que tu me ballades, et c’est arrivé si souvent, j’ai l’impression de vivre un rêve…
-  Dans une semaine, un mois tout au plus, nous serons ensemble.
-  … un rêve Thibault, un rêve

Parfois leurs mots se recouvraient presque, se caressaient à distance, une distance qui paraissait à Nathan étrangement grande et s’est en y songeant …
Il s’était à nouveau assoupi. Un mouvement dans son dos l’avait soudainement réveillé, en même temps qu’une voix haut perchée.

-   - Si tu as fini, Armand, on peut y aller.
-  - Doucement Paulette, y a pas le feu. Je raccroche, je finis mon demi tranquillement et on se rentre.

Nathan se retourna, pour voir la jeune fille ouvrir son sac, y ranger son portable et se rasseoir.
L’intermède était terminé, sa conscience à nouveau en route pour assembler entre eux les morceaux de la réalité qui venait de se jouer devant lui, Nathan était à nouveau présent, seul.  Il paya son café, jeta un dernier coup d’œil en direction du couple. Et d’un pas mesuré qu’il aurait voulu plus serein, il s’enfuit.

Grand merci à Aunryz Tamel


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 

Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants

Merci à Marie-Noëlle Bertrand d’avoir repris le flambeau.


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